V la dĂ©claration de M. Vincent Lamanda, premier prĂ©sident de la Cour de cassation, devant la Commission des lois de l'AssemblĂ©e nationale dans le cadre des auditions sur l'Ă©valuation de la loi organique sur l'article 61-1 de la Constitution contre des mesures hĂątives qui conduiraient « vers cette Cour suprĂȘme Ă l'amĂ©ricaine dont
CHAPITRE sur lâhistoire de France. LES hommes ne savent guĂšre que lâhistoire de leur temps ; et lâon dirait, en lisant les dĂ©clamations de nos jours, que les huit siĂšcles de la monarchie qui ont prĂ©cĂ©dĂ© la rĂ©volution françoise, nâont Ă©tĂ© que des temps tranquilles, et que la nation Ă©toit alors sur des roses. On oublie les templiers brĂ»lĂ©s sous Philippe-le-Bel ; les triomphes des Anglois sous les Valois ; la guerre de la Jacquerie ; les assassinats du duc dâOrlĂ©ans et du duc de Bourgogne ; les cruautĂ©s perfides de Louis XI ; les protestans françois condamnĂ©s a dâaffreux supplices sous François Ier, pendant quâil sâallioit lui-mĂȘme aux protestans dâAllemagne ; les horreurs de la ligue surpassĂ©es toutes encore par le massacre de la Saint-BarthĂ©lemi ; les conspirations contre Henri IV, et son assassinat, Ćuvre effroyable des ligueurs ; les Ă©chafauds arbitraires Ă©levĂ©s par le cardinal de Richelieu ; les dragonnades, la rĂ©vocation de lâĂ©dit de Nantes, lâexpulsion des protestans et la guerre des CĂ©vennes, sous Louis XIV ; enfin les querelles plus douces, mais non moins importantes, des parlemens sous Louis XV. Des troubles sans fin se sont Ă©levĂ©s pour obtenir la libertĂ© telle quâon la concevoit Ă diffĂ©rentes pĂ©riodes, soit fĂ©odale, soit religieuse, enfin reprĂ©sentative ; et, si lâon en excepte les rĂšgnes oĂč des monarques, tels que François Ier, et surtout Louis XIV, ont eu la dangereuse habiletĂ© dâoccuper les esprits par la guerre, il ne sâest pas Ă©coulĂ©, pendant lâespace de huit siĂšcles, vingt-cinq ans durant lesquels, ou les grands vassaux armĂ©s contre les rois, ou les paysans soulevĂ©s contre les seigneurs, ou les rĂ©formĂ©s se dĂ©fendant contre les catholiques, ou les parlemens se prononçant contre la cour, nâaient essayĂ© dâĂ©chapper au pouvoir arbitraire, le plus insupportable fardeau qui puisse peser sur un peuple. Les troubles civils, aussi-bien que les violences auxquelles on a eu recours pour les Ă©touffer, attestent que les François ont luttĂ© autant que les Anglais pour obtenir la libertĂ© lĂ©gale, qui seule peut faire jouir une nation du calme, de lâĂ©mulation et de la prospĂ©ritĂ©. Il importe de rĂ©pĂ©ter Ă tous les partisans des droits qui reposent sur le passĂ©, que câest la libertĂ© qui est ancienne, et le despotisme qui est moderne. Dans tous les Ă©tats europĂ©ens, fondĂ©s au commencement du moyen Ăąge, le pouvoir des rois a Ă©tĂ© limitĂ© par celui des nobles ; les diĂštes en Allemagne, en SuĂšde, en Danemark, avant sa charte de servitude, les parlemens en Angleterre, les cortĂšs en Espagne, les corps intermĂ©diaires de tout genre en Italie, prouvent que les peuples du Nord ont apportĂ© avec eux des institutions qui resserroient le pouvoir dans une classe, mais qui ne favorisoient en rien le despotisme. Les Francs nâont jamais reconnu leurs chefs pour despotes. Lâon ne peut nier que, sous les deux premiĂšres races, tout ce qui avoit droit de citoyen, câest-Ă -dire, les nobles, et les nobles Ă©toient les Francs, ne participĂąt au gouvernement. Tout le monde sait, dit M. de Boulainvilliers, qui certes nâest pas philosophe, que les François Ă©toient des peuples libres qui se choisissoient des chefs sous le nom de rois, pour exĂ©cuter des lois quâeux-mĂȘmes avoient Ă©tablies, ou pour les conduire Ă la guerre, et quâils nâavoient garde de considĂ©rer les rois comme des lĂ©gislateurs qui pouvoient tout ordonner selon leur bon plaisir. Il ne reste aucune ordonnance des deux premiĂšres races de la monarchie qui ne soit caractĂ©risĂ©e du consentement des assemblĂ©es gĂ©nĂ©rales des champs de mars ou de mai ; et mĂȘme aucune guerre ne se faisoit alors sans leur approbation. » La troisiĂšme race des rois françois se fonda sur le rĂ©gime fĂ©odal ; les deux prĂ©cĂ©dentes tenoient de plus prĂšs Ă la conquĂȘte. Les premiers princes de la troisiĂšme race sâintituloient Rois par la grĂące de Dieu et par le consentement du peuple ; et ensuite la formule de leur serment contenoit la promesse de conserver les lois et les droits de la nation. Les rois de France, depuis saint Louis jusquâĂ Louis XI, ne se sont point arrogĂ© le droit de faire des lois sans le consentement des Ă©tats gĂ©nĂ©raux. Mais les querelles des trois ordres, qui ne purent jamais sâaccorder, les obligĂšrent Ă recourir aux rois comme mĂ©diateurs ; et les ministres se sont servis habilement de cette nĂ©cessitĂ©, ou pour ne pas convoquer les Ă©tats gĂ©nĂ©raux, ou pour les rendre inutiles. Lorsque les Anglais entrĂšrent en France, Ădouard III dit, dans sa proclamation, quâil venoit rendre aux François leurs droits quâon leur avoit ĂŽtĂ©s. Les quatre meilleurs rois de France, saint Louis, Charles V, Louis XII, et surtout Henri IV, chacun suivant les idĂ©es de son siĂšcle, ont voulu fonder lâempire des lois. Les croisades ont empĂȘchĂ© Saint Louis de consacrer tout son temps au bien du royaume. Les guerres contre les Anglais et la captivitĂ© de Jean-le-Bon, ont absorbĂ© dâavance les ressources que prĂ©paroit la sagesse de son fils Charles V. La malheureuse expĂ©dition dâItalie, mal commencĂ©e par Charles VIII, mal continuĂ©e par Louis XII, a privĂ© la France dâune partie des biens que ce dernier lui destinoit ; et les ligueurs, les atroces ligueurs, Ă©trangers et fanatiques, ont arrachĂ© au monde le roi, lâhomme le meilleur, et le prince le plus grand et le plus Ă©clairĂ© que la France ait produit, Henri IV. NĂ©anmoins malgrĂ© les obstacles singuliers qui ont arrĂȘtĂ© la marche de ces quatre souverains, supĂ©rieurs de beaucoup Ă tous les autres, ils se sont occupĂ©s, pendant leur rĂšgne, Ă reconnoĂźtre des droits qui limitoient les leurs. Saint-Louis continua les affranchissemens des communes, commencĂ©s par Louis-le-Gros ; il fit des rĂšglemens pour assurer lâindĂ©pendance et la rĂ©gularitĂ© de la justice ; et, chose remarquable, lorsquâil fut choisi par les barons anglais pour arbitre entre eux et leur monarque Henri III, il blĂąma les barons rebelles, mais il fut dâavis que Henri III devoit ĂȘtre fidĂšle Ă la charte quâil avoit jurĂ©e. Celui qui resta prisonnier en Afrique, pour ne pas manquer Ă ses sermens, pouvoit-il Ă©noncer une autre opinion ? Jâaimerois mieux, disoit-il, quâun Ă©tranger de lâextrĂ©mitĂ© de lâEurope, quâun Ăcossais vĂźnt gouverner la France, plutĂŽt que mon fils, sâil ne devoit pas ĂȘtre sage et juste. » Charles V, pendant quâil nâĂ©toit que rĂ©gent, convoqua les Ă©tats gĂ©nĂ©raux de 1355, les plus remarquables de lâhistoire de France, par les rĂ©clamations quâils firent en faveur de la nation. Ce mĂȘme Charles V, devenu roi, assembla les Ă©tats gĂ©nĂ©raux en 1369, afin dâen obtenir lâimpĂŽt des gabelles, alors Ă©tabli pour la premiĂšre fois ; il permit aux bourgeois de Paris dâacheter des fiefs ; mais, comme les Ă©trangers occupoient alors une partie du royaume, lâon peut aisĂ©ment concevoir que le premier intĂ©rĂȘt dâun roi de France Ă©toit de les repousser et cette cruelle situation fut cause que Charles V se permit dâexiger quelques impĂŽts sans le consentement de la nation. Mais, en mourant, il dĂ©clara quâil sâen repentoit, et reconnut quâil nâen avoit pas eu le droit. Les troubles intĂ©rieurs, combinĂ©s avec les invasions des Anglais, rendirent pendant long-temps la marche du gouvernement trĂšs-difficile. Charles VII Ă©tablit le premier les troupes de ligne ; funeste Ă©poque dans lâhistoire des nations ! Louis XI, dont le nom suffit, comme celui de NĂ©ron ou de TibĂšre, essaya de sâarroger le pouvoir absolu. Il fit quelques pas dans la route que le cardinal de Richelieu a si bien suivie depuis ; mais il rencontra dans les parlemens une grande opposition. En gĂ©nĂ©ral, ces corps ont donnĂ© de la consistance aux lois en France, et il nâest presque pas une de leurs remontrances oĂč ils ne rappellent aux rois leurs engagemens envers la nation. Ce mĂȘme Louis XI Ă©toit encore bien loin cependant de se croire un roi sans limites ; et, dans lâinstruction quâil laissa en mourant Ă son fils Charles VIII. il lui dit Quand les rois ou les princes nâont regard Ă la loi, en ce faisant, ils font leur peuple serf, et perdent le nom de roi ; car nul ne doit ĂȘtre appelĂ© roi fors celui qui rĂšgne et seigneurie sur les Francs. Les Francs de nature aiment leur seigneur ; mais les serfs naturellement haĂŻssent comme les esclaves leurs maĂźtres. » Tant il est vrai que, par testament du moins, les tyrans mĂȘmes ne peuvent sâempĂȘcher de blĂąmer le despotisme ! Louis XII, surnommĂ© le PĂšre du peuple, soumit Ă la dĂ©cision des Ă©tats gĂ©nĂ©raux le mariage du comte dâAngoulĂȘme, depuis François Ier, avec sa fille Claude, et le choix de ce prince pour successeur. La continuation de la guerre dâItalie Ă©toit impolitique ; mais, comme Louis XII diminua les impĂŽts par lâordre quâil mit dans les finances, et quâil vendit ses propres domaines pour subvenir aux dĂ©penses de lâĂ©tat, le peuple ressentit moins sous lui, quâil nâauroit fait sous tout autre monarque, les inconvĂ©niens de cette expĂ©dition. Dans le concile de Tours, le clergĂ© de France, dâaprĂšs les dĂ©sirs de Louis XII, dĂ©clara quâil ne devoit point une obĂ©issance implicite au pape. Lorsque des comĂ©diens sâavisĂšrent de reprĂ©senter une piĂšce pour se moquer de la respectable avarice du roi, il ne souffrit pas quâon les punĂźt, et dit ces paroles remarquables Ils peuvent nous apprendre des vĂ©ritĂ©s utiles. Laissons-les se divertir, pourvu quâils respectent lâhonneur des dames. Je ne suis pas fĂąchĂ© que lâon sache que, sous mon rĂšgne, on a pris cette libertĂ© impunĂ©ment. » La libertĂ© de la presse nâĂ©toit-elle pas tout entiĂšre dans ces paroles ? Car alors la publicitĂ© du théùtre Ă©toit bien plus grande que celle des livres. Jamais un monarque vraiment vertueux ne sâest trouvĂ© en possession de la puissance souveraine, sans avoir dĂ©sirĂ© de modĂ©rer sa propre autoritĂ©, au lieu dâempiĂ©ter sur les droits des peuples ; les rois Ă©clairĂ©s veulent limiter le pouvoir de leurs ministres et de leurs successeurs. Un esprit de lumiĂšre se fait toujours sentir suivant la nature des temps, dans tous les hommes dâĂ©tat de premier rang, ou par leur raison, ou par leur Ăąme. Les premiers jours du seiziĂšme siĂšcle virent naĂźtre la rĂ©forme religieuse dans les Ă©tats les plus Ă©clairĂ©s de lâEurope en Allemagne, en Angleterre, bientĂŽt aprĂšs en France. Loin de se dissimuler que la libertĂ© de conscience tient de prĂšs Ă la libertĂ© politique, il me semble que les protestans doivent se vanter de cette analogie. Ils ont toujours Ă©tĂ© et seront toujours des amis de la libertĂ© ; lâesprit dâexamen en matiĂšre de religion, conduit nĂ©cessairement au gouvernement reprĂ©sentatif, en fait dâinstitutions politiques. La proscription de la raison sert Ă tous les despotismes, et seconde toutes les hypocrisies La France fut sur le point dâadopter la rĂ©formation Ă la mĂȘme Ă©poque oĂč elle se consolida, en Angleterre ; les plus grands seigneurs de lâĂ©tat, CondĂ©, Coligny, Rohan, LesdiguiĂšres professĂšrent la foi Ă©vangĂ©lique. Les Espagnols, guidĂ©s par lâinfernal gĂ©nie de Philippe II, soutinrent la Ligue en France, conjointement avec Catherine de MĂ©dicis. Une femme de son caractĂšre devoit souhaiter le pouvoir sans bornes, et Philippe II vouloit faire de sa fille une reine de France, au prĂ©judice de Henri IV. On voit que le despotisme ne respecte pas toujours la lĂ©gitimitĂ©. Les parlemens ont refusĂ© cent Ă©dits royaux de 1562 Ă 1589. NĂ©anmoins, le chancelier de lâHĂŽpital trouva plus dâappui pour la tolĂ©rance religieuse dans les Ă©tats gĂ©nĂ©raux quâil put rassembler, que dans le parlement. Ce corps de magistrature, trĂšs-bon pour maintenir les anciennes lois, comme sont tous les corps, ne participoit pas aux lumiĂšres du temps. Des dĂ©putĂ©s Ă©lus par la nation peuvent seuls sâassocier Ă ses besoins et Ă ses dĂ©sirs, selon chaque Ă©poque. Henri IV fut long-temps le chef des rĂ©formĂ©s ; mais il se vit enfin forcĂ© de cĂ©der Ă lâopinion dominante, bien quâelle fĂ»t celle de ses adversaires. Toutefois il montra tant de sagesse et de magnanimitĂ© pendant son rĂšgne, que le souvenir de ce peu dâannĂ©es est plus rĂ©cent encore pour les cĆurs françois, que celui mĂȘme des deux siĂšcles qui se sont Ă©coulĂ©s depuis. LâĂ©dit de Nantes, publiĂ© en 1598, fondoit la tolĂ©rance religieuse pour laquelle on nâa point encore cessĂ© de lutter. Cet Ă©dit opposoit une barriĂšre au despotisme ; car, quand le gouvernement est obligĂ© de tenir la balance Ă©gale entre deux partis opposĂ©s, câest un exercice continuel de raison et de justice. Dâailleurs, comment un homme tel que Henri IV eĂ»t-il dĂ©sirĂ© le pouvoir absolu ? CâĂ©toit contre la tyrannie de MĂ©dicis et des Guise quâil sâĂ©toit armĂ© ; il avoit combattu pour en dĂ©livrer la France, et sa gĂ©nĂ©reuse nature lui inspiroit bien plus le besoin de lâadmiration libre, que de lâobĂ©issance servile. Sully mettoit dans les finances du royaume un ordre qui auroit pu rendre lâautoritĂ© royale tout-Ă -fait indĂ©pendante des peuples ; mais Henri IV ne faisoit point ce coupable usage dâune vertu, lâĂ©conomie il convoqua donc lâassemblĂ©e des notables Ă Rouen, et voulut quâelle fĂ»t librement Ă©lue, sans que lâinfluence du souverain eĂ»t part au choix de ses membres. Les troubles civils Ă©toient encore bien rĂ©cens, et lâon auroit pu se servir de ce prĂ©texte pour remettre tous les pouvoirs entre les mains du souverain ; mais câest dans la vraie libertĂ© que se trouve le remĂšde le plus efficace contre lâanarchie. Chacun sait par cĆur les belles paroles de Henri IV Ă lâouverture de lâassemblĂ©e. La conduite du roi fut dâaccord avec son langage il se soumit aux demandes de lâassemblĂ©e, bien quâelles fussent assez impĂ©rieuses, parce quâil avait promis dâobtempĂ©rer aux dĂ©sirs des dĂ©lĂ©guĂ©s du peuple. Enfin, le mĂȘme respect pour la publication de la vĂ©ritĂ© quâavoit montrĂ© Louis XII, se trouve dans les discours que Henri IV tint Ă son historien Matthieu contre la flatterie. Ă lâĂ©poque oĂč vivoit Henri IV, les esprits nâĂ©toient tournĂ©s que vers la libertĂ© religieuse ; il crut lâassurer par lâĂ©dit de Nantes mais, comme il en Ă©toit seul lâauteur, un autre roi put dĂ©faire son ouvrage. Chose Ă©tonnante ! Grotius prĂ©dit sous Louis XIII, dans un de ses Ă©crits, que lâĂ©dit de Nantes Ă©tant une concession et non pas un pacte rĂ©ciproque, un des successeurs de Henri IV pourroit changer ce quâil avoit Ă©tabli. Si ce grand monarque avoit vĂ©cu de nos jours, il nâauroit pas voulu que le bien quâil faisoit Ă la France fĂ»t prĂ©caire comme sa vie, et il auroit donnĂ© des garanties politiques Ă cette mĂȘme tolĂ©rance, dont, aprĂšs sa mort, la France fut cruellement privĂ©e. Henri IV, peu de temps avant de mourir, conçut, dit-on, la grande idĂ©e dâĂ©tablir lâindĂ©pendance des divers Ă©tats de lâEurope par un congrĂšs. Mais ce qui est certain au moins, câest que son but principal Ă©toit de soutenir le parti des protestans en Allemagne. Le fanatisme, qui le fit assassiner, ne se trompa point sur ses vĂ©ritables intentions. Ainsi pĂ©rit le souverain le plus françois qui ait rĂ©gnĂ© sur la France. Souvent nos rois ont tenu de leurs mĂšres un caractĂšre Ă©tranger ; mais Henri IV Ă©toit en tout compatriote de ses sujets. Lorsque Louis XIII hĂ©rita de sa mĂšre, italienne, une grande dissimulation, on ne reconnut plus le sang du pĂšre dans le fils. Qui pourroit croire que la marĂ©chale dâAncre ait Ă©tĂ© brĂ»lĂ©e comme sorciĂšre, et en prĂ©sence de la mĂȘme nation qui venoit, vingt ans auparavant, dâapplaudir Ă lâĂ©dit de Nantes ? Il y a des Ă©poques oĂč le sort de lâesprit humain dĂ©pend dâun homme ; celles-lĂ sont malheureuses, car rien de durable ne peut se faire que par lâimpulsion universelle. Le cardinal de Richelieu voulut dĂ©truire lâindĂ©pendance des grands vassaux de la couronne, et, dans ce but, il attira les nobles Ă Paris, afin de changer en courtisans les seigneurs des provinces. Louis XI avoit conçu la mĂȘme idĂ©e ; mais la capitale, Ă cette Ă©poque, ne prĂ©sentoit aucune sĂ©duction de sociĂ©tĂ©, et la cour encore moins ; plusieurs hommes dâun rare talent et dâune grande Ăąme, dâOssat, Mornai, Sully, sâĂ©toient dĂ©veloppĂ©s avec Henri IV ; mais aprĂšs lui lâon ne vit bientĂŽt plus aucun de ces grands chevaliers, dont les noms sont encore comme les traditions hĂ©roĂŻques de lâhistoire de France. Le despotisme du cardinal de Richelieu dĂ©truisit en entier lâoriginalitĂ© du caractĂšre françois, sa loyautĂ©, sa candeur, son indĂ©pendance. On a beaucoup vantĂ© le talent du prĂȘtre ministre, parce quâil a maintenu la grandeur politique de la France, et sous ce rapport on ne sauroit lui refuser des talens supĂ©rieurs ; mais Henri IV atteignoit au mĂȘme but, en gouvernant par des principes de justice et de vĂ©ritĂ©. Le gĂ©nie se manifeste non-seulement dans le triomphe quâon remporte, mais dans les moyens quâon a pris pour lâobtenir. La dĂ©gradation morale, empreinte sur une nation quâon accoutume au crime, tĂŽt ou tard doit lui nuire plus que les succĂšs ne lâont servie. Le cardinal de Richelieu fit brĂ»ler comme sorcier un pauvre innocent curĂ©, Urbain Grandier, se prĂȘtant ainsi bassement et perfidement aux superstitions quâil ne partageoit pas. Il fit enfermer dans sa propre maison de campagne, Ă Ruelle, le marĂ©chal de Marillac quâil haĂŻssoit, pour le faire condamner Ă mort plus sĂ»rement sous ses yeux. M. de Thou porta sa tĂȘte sur un Ă©chafaud, pour nâavoir pas dĂ©noncĂ© son ami. Aucun dĂ©lit politique ne fut jugĂ© lĂ©galement sous le ministĂšre du cardinal de Richelieu, et des commissions extraordinaires furent toujours nommĂ©es pour prononcer sur le sort des victimes. Cependant, de nos jours encore, on a pu vanter un tel homme ! Il est mort Ă la vĂ©ritĂ© dans la plĂ©nitude de sa puissance prĂ©caution bien nĂ©cessaire aux tyrans qui veulent conserver un grand nom dans lâhistoire. On peut, Ă quelques Ă©gards, considĂ©rer le cardinal de Richelieu comme un Ă©tranger en France ; sa qualitĂ© de prĂȘtre, et de prĂȘtre Ă©levĂ© en Italie, le sĂ©pare du vĂ©ritable caractĂšre françois. Son grand pouvoir nâen est que plus facile Ă expliquer, car lâhistoire fournit plusieurs exemples dâĂ©trangers qui ont dominĂ© les François. Les individus de cette nation sont trop vifs pour sâastreindre Ă la persĂ©vĂ©rance quâil faut pour ĂȘtre despote ; mais celui qui a cette persĂ©vĂ©rance est trĂšs-redoutable dans un pays oĂč, la loi nâayant jamais rĂ©gnĂ©, lâon ne juge de rien que par lâĂ©vĂ©nement. Le cardinal de Richelieu, en appelant les grands Ă Paris, les priva de leur considĂ©ration dans les provinces, et crĂ©a cette influence de la capitale sur le reste de la France, qui nâa jamais cessĂ© depuis cet instant. Une cour a nĂ©cessairement beaucoup dâascendant sur la ville quâelle habite, et il est commode de gouverner lâempire Ă lâaide dâune trĂšs-petite rĂ©union dâhommes ; je dis commode pour le despotisme. On prĂ©tend que Richelieu a prĂ©parĂ© les merveilles du siĂšcle de Louis XIV, quâon a souvent mis en parallĂšle avec ceux de PĂ©riclĂšs et dâAuguste. Mais des Ă©poques analogues Ă ces siĂšcles brillans se trouvent chez plusieurs nations sous diverses formes, au moment oĂč la littĂ©rature et les beaux-arts apparoissent pour la premiĂšre fois, aprĂšs de longs troubles civils ou des guerres prolongĂ©es. Les grandes phases de lâesprit humain sont bien plutĂŽt lâĆuvre des temps que lâĆuvre dâun homme ; car elles se ressemblent toutes entre elles, quelque diffĂ©rens que soient les caractĂšres des principaux chefs contemporains. AprĂšs Richelieu, sous la minoritĂ© de Louis XIV, quelques idĂ©es politiques un peu sĂ©rieuses se mĂȘlĂšrent Ă la frivolitĂ© de lâesprit de la Fronde. Le parlement demanda quâaucun François ne pĂ»t ĂȘtre mis en prison sans ĂȘtre traduit devant ses juges naturels. On voulut mettre aussi des bornes au pouvoir ministĂ©riel, et quelque libertĂ© auroit pu sâĂ©tablir par haine contre Mazarin. Mais bientĂŽt Louis XIV dĂ©veloppa les mĆurs des cours dans toute leur dangereuse splendeur ; il flatta la fiertĂ© françoise par le succĂšs de ses armĂ©es Ă la guerre, et sa gravitĂ© toute espagnole Ă©loigna de lui la familiaritĂ© des jugemens ; mais il fit descendre les nobles encore plus bas que sous le rĂšgne prĂ©cĂ©dent. Car, au moins Richelieu les persĂ©cutoit, ce qui leur donnoit toujours quelque considĂ©ration, tandis que sous Louis XIV ils ne pouvoient se distinguer du reste de la nation quâen portant de plus prĂšs le joug du mĂȘme maĂźtre Le roi qui a pensĂ© que les propriĂ©tĂ©s de ses sujets lui appartenoient, et qui sâest permis tous les genres dâactes arbitraires ; enfin, le roi ose-t-on le dire, et peut-on lâoublier ! qui vint, le fouet Ă la main, interdire comme une offense le dernier reste de lâombre dâun droit, les remontrances du parlement, ne respectoit que lui-mĂȘme, et nâa jamais pu concevoir ce que câĂ©toit quâune nation. Tous les torts quâon a reprochĂ©s Ă Louis XIV sont une consĂ©quence naturelle de la superstition de son pouvoir, dont on lâavoit imbu dĂšs son enfance. Comment le despotisme nâentraineroit-il pas la flatterie ? et comment la flatterie ne fausseroit-elle pas les idĂ©es de toute crĂ©ature humaine qui y est exposĂ©e ? Quel est lâhomme de gĂ©nie qui se soit entendu dire la centiĂšme partie des Ă©loges prodiguĂ©s aux rois les plus mĂ©diocres ? et cependant ces rois, par cela mĂȘme quâils ne mĂ©ritent pas quâon leur adresse ces Ă©loges, en sont plus facilement enivrĂ©s. Si Louis XIV fĂ»t nĂ© simple particulier, on nâauroit probablement jamais parlĂ© de lui, parce quâil nâavoit en rien des facultĂ©s transcendantes ; mais il entendoit bien cette dignitĂ© factice qui met lâĂąme des autres mal Ă lâaise. Henri IV sâentretenoit familiĂšrement avec tous ses sujets, depuis la premiĂšre classe jusquâĂ la derniĂšre ; Louis XIV a fondĂ© cette Ă©tiquette exagĂ©rĂ©e qui a privĂ© les rois de sa maison, soit en France, soit en Espagne, de toute communication franche et naturelle avec les hommes aussi ne les connut-il pas, dĂšs que les circonstances devinrent menaçantes. Un ministre Louvois lâengagea dans une guerre sanglante, pour avoir Ă©tĂ© tourmentĂ© par lui sur les fenĂȘtres dâun bĂątiment ; et, pendant soixante-huit annĂ©es de rĂšgne, Louis XIV, bien quâil nâeĂ»t aucun talent comme gĂ©nĂ©ral, a pourtant fait cinquante-six ans la guerre. Le Palatinat a Ă©tĂ© ravagĂ© ; des exĂ©cutions atroces ont eu lieu dans la Bretagne. Le bannissement de deux cent mille François protestans, les dragonnades et la guerre des CĂ©vennes, nâĂ©galent pas encore les horreurs rĂ©flĂ©chies qui se trouvent dans les diffĂ©rentes ordonnances rendues aprĂšs la rĂ©vocation de lâĂ©dit de Nantes, en 1685. Le code lancĂ© alors contre les religionnaires peut tout-Ă -fait se comparer aux lois de la convention contre les Ă©migrĂ©s, et porte les mĂȘmes caractĂšres. LâĂ©tat civil leur Ă©toit refusĂ©, câest-Ă -dire que leurs enfans nâĂ©toient pas considĂ©rĂ©s comme lĂ©gitimes, jusquâen 1787, que lâassemblĂ©e des notables a provoquĂ© la justice de Louis XVI Ă cet Ă©gard. Non-seulement leurs biens Ă©toient confisquĂ©s, mais ils Ă©toient attribuĂ©s Ă ceux qui les dĂ©nonçoient ; leurs enfans leur Ă©toient pris de force, pour ĂȘtre Ă©levĂ©s dans la religion catholique. Les ministres du culte, et ce quâon appeloit les relaps, Ă©toient condamnĂ©s aux galĂšres ou Ă la mort ; et, comme enfin on avoit dĂ©clarĂ© quâil nây avoit plus de protestans en France, on considĂ©roit tous ceux qui lâĂ©toient comme relaps quand il convenoit de les traiter ainsi. Des injustices de tout genre ont signalĂ© ce rĂšgne de Louis XIV, objet de tant de madrigaux ; et personne nâa rĂ©clamĂ© contre les abus dâune autoritĂ© qui Ă©toit elle-mĂȘme un abus continuel. FĂ©nĂ©lon a seul osĂ© Ă©lever sa voix ; mais câest assez aux yeux de la postĂ©ritĂ©. Ce roi, si scrupuleux sur les dogmes religieux, ne lâĂ©toit guĂšre sur les bonnes mĆurs, et ce nâest quâĂ lâĂ©poque de ses revers quâil a dĂ©veloppĂ© de vĂ©ritables vertus. On ne se sent pas avec lui la moindre sympathie, jusquâau moment oĂč il fut malheureux ; alors une grandeur native reparut dans son Ăąme. On vante les beaux Ă©difices que Louis XIV a fait Ă©lever. Mais nous savons par expĂ©rience que, dans tous les pays oĂč les dĂ©putĂ©s de la nation ne dĂ©fendent pas lâargent du peuple, il est aisĂ© dâen avoir pour toute espĂšce de dĂ©pense. Les pyramides de Memphis ont coĂ»tĂ© plus de travail que les embellissemens de Paris, et cependant les despotes dâĂgypte disposoient facilement de leurs esclaves pour les bĂątir. Attribuera-t-on aussi Ă Louis XIV les grands Ă©crivains de son temps ? Il persĂ©cuta Port-Royal dont Pascal Ă©toit le chef ; il fit mourir de chagrin Racine ; il exila FĂ©nĂ©lon ; il sâopposa constamment aux honneurs quâon vouloit rendre Ă La Fontaine, et ne professa de lâadmiration que pour Boileau. La littĂ©rature, en lâexaltant avec excĂšs, a bien plus fait pour lui quâil nâa fait pour elle. Quelques pensions accordĂ©es aux gens de lettres nâexerceront jamais beaucoup dâinfluence sur les vrais talens. Le gĂ©nie nâen veut quâĂ la gloire, et la gloire ne jaillit que de lâopinion publique. La littĂ©rature nâa pas Ă©tĂ© moins brillante dans le siĂšcle suivant, quoique sa tendance fĂ»t plus philosophique ; mais cette tendance mĂȘme a commencĂ© vers la fin du rĂšgne de Louis XIV. Comme il a rĂ©gnĂ© plus de soixante ans, le siĂšcle a pris son nom ; nĂ©anmoins les pensĂ©es de ce siĂšcle ne relĂšvent point de lui ; et, si lâon en excepte Bossuet, qui, malheureusement pour nous et pour lui, asservit son gĂ©nie au despotisme et au fanatisme, presque tous les Ă©crivains du dix-septiĂšme siĂšcle firent des pas trĂšs-marquans dans la route que les Ă©crivains du dix-huitiĂšme ont depuis parcourue. FĂ©nĂ©lon, le plus respectable des hommes, sut apprĂ©cier, dans un de ses Ă©crits, la constitution anglaise, peu dâannĂ©es aprĂšs son Ă©tablissement ; et, vers la fin du rĂšgne de Louis XIV, on vit de toutes parts grandir la raison humaine. Louis XIV accrut la France par les conquĂȘtes de ses gĂ©nĂ©raux ; et, comme un certain degrĂ© dâĂ©tendue est nĂ©cessaire Ă lâindĂ©pendance dâun Ă©tat, Ă cet Ă©gard il mĂ©rita la reconnoissance de la nation. Mais il laissa lâintĂ©rieur du pays dans un Ă©tat de dĂ©sorganisation dont le rĂ©gent et Louis XV nâont cessĂ© de souffrir pendant leur rĂšgne. Ă la mort de Henri IV, les finances et toutes les branches de lâadministration Ă©toient dans lâordre le plus parfait, et la France se maintint encore pendant plusieurs annĂ©es par la force quâelle lui devoit. Ă la mort de Louis XIV les finances Ă©toient Ă©puisĂ©es Ă un degrĂ© tel, que jusquâĂ lâavĂšnement de Louis XVI on nâa pu les rĂ©tablir. Le peuple insulta le convoi funĂšbre de Louis XIV, et le parlement cassa son testament. Lâexcessive superstition sous laquelle il sâĂ©toit courbĂ©, pendant les derniĂšres annĂ©es de son rĂšgne, avoit tellement fatiguĂ© les esprits, que la licence mĂȘme de la rĂ©gence fut excusĂ©e, parce quâelle les soulageoit du poids de la cour intolĂ©rante de Louis XIV. Comparez cette mort avec celle de Henri IV. Il Ă©toit si simple bien que roi, si doux bien que guerrier, si spirituel, si gai, si sage ; il savoit si bien que se rapprocher des hommes câest sâagrandir Ă leurs yeux, quand on est vĂ©ritablement grand, que chaque François crut sentir au cĆur le poignard qui trancha sa belle vie. Il ne faut jamais juger les despotes par les succĂšs momentanĂ©s que la tension mĂȘme du pouvoir leur fait obtenir. Câest lâĂ©tat dans lequel ils laissent le pays Ă leur mort ou Ă leur chute, câest ce qui reste de leur rĂšgne aprĂšs eux, qui rĂ©vĂšle ce quâils ont Ă©tĂ©. Lâascendant politique des nobles et du clergĂ© a fini en France avec Louis XIV ; il ne les avoit fait servir quâĂ sa puissance ; ils se sont trouvĂ©s aprĂšs lui sans liens avec la nation mĂȘme, dont lâimportance sâaccroissoit chaque jour. Louis XV, ou plutĂŽt ses ministres, ont eu des disputes continuelles avec les parlemens, qui se rendoient populaires en refusant les impĂŽts ; et les parlemens tenoient Ă la classe du tiers Ă©tat, du moins en grande partie. Les Ă©crivains, qui Ă©loient pour la plupart aussi de cette classe, conquĂ©roient par leur talent la libertĂ© de la presse quâon leur refusoit lĂ©galement. Lâexemple de lâAngleterre agissoit chaque jour sur les esprits, et lâon ne concevoit pas bien pourquoi sept lieues de mer sĂ©paroient un pays oĂč la nation Ă©toit tout, dâun pays oĂč la nation nâĂ©toit rien. Lâopinion, et le crĂ©dit, qui nâest que lâopinion appliquĂ©e aux affaires de finance, devenoient chaque jour plus essentiels. Les capitalistes ont plus dâinfluence Ă cet Ă©gard que les grands propriĂ©taires eux-mĂȘmes ; et les capitalistes vivent Ă Paris, et discutent toujours librement les intĂ©rĂȘts publics qui touchent Ă leurs calculs personnels. Le caractĂšre dĂ©bile de Louis XV, et les erreurs de tout genre que ce caractĂšre lui fit commettre, fortifiĂšrent nĂ©cessairement lâesprit de rĂ©sistance. On voyoit dâune part lord Chatham, Ă la tĂȘte de lâAngleterre, environnĂ© de tous les grands orateurs du parlement, qui reconnoissoient volontiers sa prééminence ; et dans le mĂȘme temps, les maĂźtresses les plus subalternes du roi de France faisant nommer et renvoyer ses ministres. Lâesprit public gouvernoit lâAngleterre ; les hasards et les intrigues les plus imprĂ©vues et les plus misĂ©rables disposoient du sort de la France. Cependant Voltaire, Montesquieu, Rousseau, Buffon, des penseurs profonds, des Ă©crivains supĂ©rieurs, faisoient partie de cette nation ainsi gouvernĂ©e ; et comment les François nâauroient-ils pas enviĂ© lâAngleterre, puisquâils pouvoient se dire avec raison que câĂ©toit Ă ses institutions politiques surtout quâelle devoit ses avantages ? Car les François comptaient parmi eux autant dâhommes de gĂ©nie que leurs voisins, bien que la nature de leur gouvernement ne leur permĂźt pas dâen tirer le mĂȘme parti. Un homme dâesprit a dit avec raison que la littĂ©rature Ă©toit lâexpression de la sociĂ©tĂ© ; si cela est vrai, les reproches que lâon adresse aux Ă©crivains du dix-huitiĂšme siĂšcle doivent ĂȘtre dirigĂ©s contre cette sociĂ©tĂ© mĂȘme. Ă cette Ă©poque, les Ă©crivains ne cherchoient pas Ă flatter le gouvernement ; ainsi donc ils vouloient complaire Ă lâopinion ; car il est impossible que le plus grand nombre des hommes de lettres ne suive pas une de ces deux routes ils ont trop besoin dâencouragement pour fronder Ă la fois lâautoritĂ© et le public. La majoritĂ© des François, dans le dix-huitiĂšme siĂšcle, vouloit la suppression du rĂ©gime fĂ©odal, lâĂ©tablissement des institutions anglaises, et avant tout, la tolĂ©rance religieuse. Lâinfluence du clergĂ© sur les affaires temporelles rĂ©voltoit universellement ; et, comme le vrai sentiment religieux est ce qui Ă©loigne le plus des intrigues et du pouvoir, ou nâavoit plus aucune foi dans ceux qui se servoient de la religion pour influer sur les affaires de ce monde. Quelques Ă©crivains, et Voltaire surtout, mĂ©ritent dâĂȘtre blĂąmĂ©s, pour nâavoir pas respectĂ© le christianisme en attaquant la superstition ; mais il ne faut pas oublier les circonstances dans lesquelles Voltaire a vĂ©cu il Ă©toit nĂ© sur la fin du siĂšcle de Louis XIV, et les atroces injustices quâon a fait souffrir aux protestans avoient frappĂ© son imagination dĂšs son enfance. Les vieilles superstitions du cardinal de Fleury, les ridicules querelles du parlement et de lâarchevĂȘque de Paris sur les billets de confession, sur les convulsionnaires, sur les jansĂ©nistes et les jĂ©suites ; tous ces dĂ©tails puĂ©rils, qui pouvoient nĂ©anmoins coĂ»ter du sang, devoient persuader Ă Voltaire que lâintolĂ©rance religieuse Ă©toit encore Ă redouter en France. Le procĂšs de Calas, ceux de Sirven, du chevalier de La Barre, etc., le confirmĂšrent dans cette crainte, et les lois civiles contre les protestans Ă©toient encore dans lâĂ©tat de barbarie oĂč les avoit plongĂ©es la rĂ©vocation de lâĂ©dit de Nantes. Je ne prĂ©tends point par-lĂ justifier Voltaire, ni ceux des Ă©crivains de son temps qui ont marchĂ© sur ses traces ; mais il faut avouer que les caractĂšres irritables et tous les hommes Ă talent le sont Ă©prouvent presque toujours le besoin dâattaquer le plus fort ; câest Ă cela quâon peut reconnoĂźtre lâimpulsion naturelle du sang et de la verve. Nous nâavons senti, pendant la rĂ©volution, que le mal de lâincrĂ©dulitĂ©, et de lâatroce violence avec laquelle on vouloit la propager ; mais les mĂȘmes sentimens gĂ©nĂ©reux qui faisoient dĂ©tester la proscription du clergĂ©, vers la fin du dix-huitiĂšme siĂšcle, inspiroient, cinquante ans plus tĂŽt, la haine de son intolĂ©rance. Il faut juger les actions et les Ă©crits dâaprĂšs leur date. Nous traiterons ailleurs la grande question des dispositions religieuses de la nation françoise. Dans ce genre, comme en politique, ce nâest pas une nation de vingt-cinq millions dâhommes quâon doit accuser ; car câest, pour ainsi dire, quereller avec le genre humain. Mais il faut examiner pourquoi cette nation nâa pas Ă©tĂ© formĂ©e, selon le grĂ© de quelques-uns, par dâanciennes institutions qui ont durĂ© toutefois assez long-temps pour exercer leur influence ; il faut examiner aussi quelle est maintenant la nature des sentimens en harmonie avec le cĆur des hommes car le feu sacrĂ© nâest et ne sera jamais Ă©teint ; mais câest au grand jour de la vĂ©ritĂ© seulement quâil peut reparoĂźtre.
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Marx a Ă©tĂ© littĂ©ralement fascinĂ© par la RĂ©volution française. Comme pour beaucoup dâintellectuels allemands de sa gĂ©nĂ©ration, elle Ă©tait Ă ses yeux tout simplement la rĂ©volution par excellence â plus prĂ©cisĂ©ment la rĂ©volution la plus gigantesque quâait connue lâhistoire ». *** On sait quâen 1844, il avait eu lâintention dâĂ©crire un livre sur la RĂ©volution française, Ă partir de lâhistoire de la Convention. DĂšs 1843, il avait commencĂ© Ă consulter des ouvrages, Ă prendre des notes, Ă dĂ©pouiller des pĂ©riodiques et des collections. Ce sont dâabord surtout des ouvrages allemands â Karl Friederich Ernst Ludwig, Wilhelm Wachsmuth â mais ensuite prĂ©dominent les livres français, notamment les mĂ©moires du conventionnel Levasseur, dont les extraits remplissent plusieurs pages du cahier de notes de Marx rĂ©digĂ© Ă Paris en 1844. Outre ces carnets reproduits par Maximilien Rubel dans le volume III des Ćuvres dans la Pléïade, les rĂ©fĂ©rences citĂ©es dans ces articles ou ces livres surtout au cours des annĂ©es 1844-1848 tĂ©moignent de la vaste bibliographie consultĂ©e LâHistoire parlementaire de la RĂ©volution française, de Buchez et Roux, LâHistoire de la RĂ©volution française, de Louis Blanc, celles de Carlyle, Mignet, Thiers, Cabet, des textes de Camille Desmoulin, Robespierre, Saint-Just, Marat, etc. On peut trouver un relevĂ© partiel de cette bibliographie dans lâarticle de Jean Bruhat sur Marx et la RĂ©volution française », publiĂ© dans les Annales historiques de la RĂ©volution française », en avril-juin 1966. Le triomphe dâun nouveau systĂšme social Le projet de livre sur la Convention nâa pas abouti mais on trouve, parsemĂ©es dans ses Ă©crits tout au long de sa vie, de multiples remarques, analyses, excursions historiographiques et esquisses interprĂ©tatives sur la RĂ©volution française. Cet ensemble est loin dâĂȘtre homogĂšne il tĂ©moigne de changements, rĂ©orientations, hĂ©sitations et parfois contradictions dans sa lecture des Ă©vĂ©nements. Mais on peut en dĂ©gager aussi quelques lignes de force qui permettent de dĂ©finir lâessence du phĂ©nomĂšne â et qui vont inspirer au cours dâun siĂšcle et demi toute lâhistoriographie socialiste. Cette dĂ©finition part, on le sait, dâune analyse critique des rĂ©sultats du processus rĂ©volutionnaire de ce point de vue, il sâagit pour Marx, sans lâombre dâun doute, dâune rĂ©volution bourgeoise. Cette idĂ©e nâĂ©tait pas, en elle-mĂȘme, nouvelle la nouveautĂ© de Marx a Ă©tĂ© de fusionner la critique communiste des limites de la RĂ©volution française depuis Baboeuf et Buonarroti jusquâĂ Mosses Hess avec son analyse de classe par les historiens de lâĂ©poque de la Restauration Mignet, Thiers, Thierry, etc., et de situer le tout dans le cadre de lâhistoire mondiale, grĂące Ă sa mĂ©thode historique matĂ©rialiste. Il en rĂ©sulte une vision dâensemble, vaste et cohĂ©rente, du paysage rĂ©volutionnaire français, qui fait ressortir la logique profonde des Ă©vĂ©nements au-delĂ des multiples dĂ©tails des Ă©pisodes hĂ©roĂŻques ou crapuleux, des reculs et des avancĂ©es. Une vision critique et dĂ©mystificatrice qui dĂ©voile, derriĂšre la fumĂ©e des batailles et lâivresse des discours, la victoire dâun intĂ©rĂȘt de classe, lâintĂ©rĂȘt de la bourgeoisie. Comme il le souligne dans un passage brillant et ironique de La Sainte-Famille 1845, qui saisit en un trait de plume le fil rouge de lâhistoire la puissance de cet intĂ©rĂȘt fut telle quâil vainquit la plume dâun Marat, la guillotine des hommes de la Terreur, le glaive de NapolĂ©on, tout comme le crucifix et le sang-bleu des Bourbons »[2]. En rĂ©alitĂ©, la victoire de cette classe fut, en mĂȘme temps, lâavĂšnement dâune nouvelle civilisation, de nouveaux rapports de production, de nouvelles valeurs â non seulement Ă©conomiques mais aussi sociales et culturelles â bref, dâun nouveau mode de vie. Ramassant en un paragraphe la signification historique des rĂ©volutions de 1848 et de 1789 mais ses remarques sont plus pertinentes pour la derniĂšre que pour la premiĂšre, Marx observe, dans un article de la Nouvelle Gazette RhĂ©nane en 1848 Elles Ă©taient le triomphe de la bourgeoisie, mais le triomphe de la bourgeoisie Ă©tait alors le triomphe dâun nouveau systĂšme social, la victoire de la propriĂ©tĂ© bourgeoise sur la propriĂ©tĂ© fĂ©odale, du sentiment national sur le provincialisme, de la concurrence sur le corporatisme, du partage sur le majorat, ⊠des lumiĂšres sur la superstition, de la famille sur le nom, de lâindustrie sur la paresse hĂ©roĂŻque, du droit bourgeois sur les privilĂšges moyenĂągeux. »[3] Bien entendu, cette analyse marxienne sur le caractĂšre â en derniĂšre analyse â bourgeois de la RĂ©volution française nâĂ©tait pas un exercice acadĂ©mique dâhistoriographie elle avait un but politique prĂ©cis. Elle visait, en dĂ©mystifiant 1789, Ă montrer la nĂ©cessitĂ© dâune nouvelle rĂ©volution, la rĂ©volution sociale â celle quâil dĂ©signe, en 1844, comme lâĂ©mancipation humaine » en opposition Ă lâĂ©mancipation uniquement politique et, en 1846, comme la rĂ©volution communiste. Une des caractĂ©ristiques principales qui distingueront cette nouvelle rĂ©volution de la RĂ©volution française de 1789-1794 sera, selon Marx, son antiĂ©tatisme », sa rupture avec lâappareil bureaucratique aliĂ©nĂ© de lâĂtat. Jusquâici, toute les rĂ©volutions ont perfectionnĂ© cette machine au lieu de la briser. Les partis qui luttĂšrent Ă tour de rĂŽle pour le pouvoir considĂšrent la conquĂȘte de cette immense Ă©difice DâĂtat comme la principale proie du vainqueur ». PrĂ©sentant cette analyse dans Le Dix-Huit Brumaire, il observe â de façon analogue Ă Tocqueville â que la RĂ©volution française nâa fait que dĂ©velopper lâĆuvre commencĂ©e par la monarchie absolue la centralisation, ⊠lâĂ©tendue, les attributs et les exĂ©cutants du pouvoir gouvernemental. NapolĂ©on acheva de perfectionner cette machinerie dâĂtat ». Toutefois, pendant la monarchie absolue, la rĂ©volution et le Premier Empire, cet appareil nâa Ă©tĂ© quâun moyen de prĂ©parer la domination de classe de la bourgeoisie, qui sâexercera plus directement sous Louis-Philippe et la RĂ©publique de 1848⊠Quitte Ă faire la place Ă nouveau, Ă lâautonomie du politique durant le Second Empire â quand lâĂtat semble sâĂȘtre rendu complĂštement indĂ©pendant ». En dâautres termes lâappareil Ă©tatique sert les intĂ©rĂȘts de classe de la bourgeoisie sans ĂȘtre nĂ©cessairement sous son contrĂŽle direct. Ne pas toucher au fondement de cette machine parasitaire et aliĂ©nĂ©e est une des limitations bourgeoises les plus dĂ©cisives de la RĂ©volution française selon Marx. Comme lâon sait, cette idĂ©e esquissĂ©e en 1852 sera dĂ©veloppĂ©e en 1871 dans ses Ă©crits sur la Commune â premier exemple de rĂ©volution prolĂ©tarienne qui brise lâappareil dâĂtat et en fini avec ce boa constrictor » qui enserre le corps social dans les mailles universelles de sa bureaucratie, de sa police, de son armĂ©e permanente ». La RĂ©volution française, par son caractĂšre bourgeois, ne pouvait pas Ă©manciper la sociĂ©tĂ© de cette excroissance parasitaire », de ce grouillement de vermine dâĂtat », de cette Ă©norme parasite gouvernemental »[4]. Les tentatives rĂ©centes des historiens rĂ©visionnistes pour dĂ©passer » lâanalyse marxienne de la RĂ©volution française aboutissent gĂ©nĂ©ralement Ă une rĂ©gression vers des interprĂ©tations plus anciennes, libĂ©rales ou spĂ©culatives. Se confirme ainsi la remarque profonde de Sartre le marxisme est lâhorizon indĂ©passable de notre Ă©poque et les tentatives pour aller au-delà » de Marx finissent souvent par tomber en deçà de lui. On peut illustrer ce paradoxe par la dĂ©marche du reprĂ©sentant le plus talentueux et le plus intelligent de cette Ă©cole, François Furet, qui ne trouve pas dâautres chemins pour dĂ©passer Marx que⊠le retour Ă Hegel. Selon Furet, lâidĂ©alisme hĂ©gĂ©lien se prĂ©occupe infiniment plus des donnĂ©es concrĂštes de lâhistoire de France du XVIIIe siĂšcle que le matĂ©rialisme de Marx ». Quelles sont donc ces donnĂ©es concrĂštes » infiniment plus importantes que les rapports de production et la lutte de classes ? Il sâagit du long travail de lâesprit dans lâhistoire »⊠GrĂące Ă lui lâesprit avec un E majuscule, nous pouvons enfin comprendre la vraie nature de la RĂ©volution française plutĂŽt que le triomphe dâune classe sociale, la bourgeoisie, elle est lâaffirmation de la conscience de soi comme volontĂ© libre, coextensive avec lâuniversel, transparente Ă elle-mĂȘme, rĂ©conciliĂ©e avec lâĂȘtre ». Cette lecture hĂ©gĂ©lienne des Ă©vĂ©nements conduit Furet Ă la curieuse conclusion que la RĂ©volution française a abouti Ă un Ă©chec », dont il faudrait chercher la cause dans une erreur » vouloir dĂ©duire le politique du social ». Le responsable de cet Ă©chec » serait, en derniĂšre analyse⊠Jean-Jacques Rousseau. Lâerreur de Rousseau et de la RĂ©volution française tient dans la tentative dâaffirmer lâantĂ©cĂ©dence du social sur lâĂtat ». Hegel, en revanche, avait parfaitement compris quâ il nây a quâĂ travers lâĂtat, cette forme supĂ©rieure de lâhistoire, que la sociĂ©tĂ© sâorganise selon la raison ». Câest une interprĂ©tation possible des contradictions de la RĂ©volution française, mais est-elle vraiment infiniment plus concrĂšte » que celle esquissĂ©e par Marx ?[5] Quel fut le rĂŽle de la classe bourgeoise ? Reste Ă savoir dans quelle mesure cette rĂ©volution bourgeoise a Ă©tĂ© effectivement menĂ©e, impulsĂ©e et dirigĂ©e par la bourgeoisie. On trouve dans certains textes de Marx de vĂ©ritables hymnes Ă la gloire de la bourgeoisie rĂ©volutionnaire française de 1789 ; il sâagit presque toujours dâĂ©crits qui la comparent avec son Ă©quivalent social outre-Rhin, la bourgeoisie allemande du XIXe siĂšcle. DĂšs 1844, il regrette lâinexistence en Allemagne dâune classe bourgeoise pourvue de cette grandeur dâĂąme qui sâidentifie, ne serait-ce quâun moment, Ă lâĂąme du peuple, de ce gĂ©nie qui inspire Ă la force matĂ©rielle lâenthousiasme pour la puissance politique, de cette hardiesse rĂ©volutionnaire qui lance Ă lâadversaire en guise de dĂ©fi je ne suis rien et je devrais ĂȘtre tout ».[6] Dans ses articles Ă©crits pendant la rĂ©volution de 1848, il ne cesse de dĂ©noncer la lĂąchetĂ© » et la trahison » de la bourgeoisie allemande, en la comparant au glorieux paradigme français La bourgeoisie prussienne nâĂ©tait pas la bourgeoisie française de 1789, la classe qui, face aux reprĂ©sentants de lâancienne sociĂ©tĂ©, de la royautĂ© et de la noblesse, incarnait Ă elle seule toute la sociĂ©tĂ© moderne. Elle Ă©tait dĂ©chue au rang dâune sorte de caste ⊠encline dĂšs lâabord Ă trahir le peuple et Ă tenter des compromis avec le reprĂ©sentant couronnĂ© de lâancienne sociĂ©tĂ© ».[7] Dans un autre article de la Nouvelle Gazette RhĂ©nane juillet 1848, il examine de façon plus dĂ©taillĂ©e ce contraste la bourgeoisie française de 1789 nâabandonnera pas un instant ses alliĂ©s, les paysans. Elle savait que la base de sa domination Ă©tait la dĂ©construction de la fĂ©odalitĂ© Ă la campagne, la crĂ©ation dâune classe paysanne libre, possĂ©dant des terres. La bourgeoisie de 1848 trahit sans aucune hĂ©sitation les paysans, qui sont ses alliĂ©s les plus naturels, la chair de sa chair, et sans lesquels elle est impuissante face Ă la noblesse ».[8] Cette cĂ©lĂ©bration des vertus rĂ©volutionnaires de la bourgeoisie française va inspirer plus tard surtout au XXe siĂšcle toute une vision linĂ©aire et mĂ©canique du progrĂšs historique chez certains courants marxistes. Nous en reparlerons plus loin. En lisant ces textes, on a parfois lâimpression que Marx nâexalte autant la bourgeoisie rĂ©volutionnaire de 1789 que pour mieux stigmatiser sa misĂ©rable » contrefaçon allemande de 1848. Cette impression est confirmĂ©e par des textes quelque peu antĂ©rieurs Ă 1848, oĂč le rĂŽle de la bourgeoisie française apparaĂźt bien moins hĂ©roĂŻque. Dans LâIdĂ©ologie allemande, par exemple, il observe Ă propos de la dĂ©cision des Ătats GĂ©nĂ©raux de se proclamer en AssemblĂ©e souveraine LâAssemblĂ©e Nationale fut forcĂ© de faire ce pas en avant, poussĂ©e quâelle Ă©tait par la masse innombrable qui se tenait derriĂšre elle. »[9] Et, dans un article de 1847, il affirme au sujet de lâabolition rĂ©volutionnaire des vestiges fĂ©odaux en 1789-1794 TimorĂ©e et conciliante comme elle lâest, la bourgeoisie ne fĂ»t venue Ă bout de cette besogne mĂȘme en plusieurs dĂ©cennies. Par consĂ©quent, lâaction sanglante du peuple nâa fait que lui prĂ©parer les voies. »[10] Si lâanalyse marxienne du caractĂšre bourgeois de la RĂ©volution est dâune remarquable cohĂ©rence et clartĂ©, la mĂȘme chose ne peut ĂȘtre dite pour ses tentatives dâinterprĂ©ter le jacobinisme, la Terreur, 1793. ConfrontĂ© au mystĂšre jacobin, Marx hĂ©site. Cette hĂ©sitation est visible dans les variations dâune pĂ©riode Ă lâautre, dâun texte Ă lâautre, et parfois Ă lâintĂ©rieur dâun mĂȘme document⊠Toutes les hypothĂšses quâil avance ne sont pas du mĂȘme intĂ©rĂȘt. Certaines, assez extrĂȘmes â et dâailleurs mutuellement contradictoires -, sont peu convaincantes. Par exemple, dans un passage de LâIdĂ©ologie allemande, il prĂ©sente la Terreur comme la mise en pratique du libĂ©ralisme Ă©nergique de la bourgeoisie » ! Or, quelques pages plus tĂŽt, Robespierre et Saint-Just sont dĂ©finis comme les authentiques reprĂ©sentants des forces rĂ©volutionnaires la masse innombrable » »âŠ[11] Cette derniĂšre hypothĂšses est encore une fois suggĂ©rĂ©e dans un passage de lâarticle contre Karl Heinzen, de 1847 si, comme en 1794, ⊠le prolĂ©tariat renverse la domination politique de la bourgeoisie » avant que les conditions matĂ©rielles de son pouvoir ne soient donnĂ©es, sa victoire ne sera que passagĂšre » et servira, en derniĂšre analyse, Ă la rĂ©volution bourgeoise elle-mĂȘme.[12] La formulation est indirecte et la rĂ©fĂ©rence Ă la RĂ©volution française nâest faite quâen passant, en vue dâun dĂ©bat politique actuel, mais il est tout de mĂȘme surprenant que Marx ait pu envisager les Ă©vĂ©nements de 1794 comme une victoire du prolĂ©tariat »⊠Dâautres interprĂ©tations sont plus pertinentes et peuvent ĂȘtre considĂ©rĂ©es comme rĂ©ciproquement complĂ©mentaires a La Terreur est un moment dâautonomisation du politique qui entre en conflit violent avec la sociĂ©tĂ© bourgeoise. Le locus classicus »de cette hypothĂšse est un passage de La Question Juive 1844 Ăvidement Ă des Ă©poques oĂč lâEtat politique comme tel naĂźt violemment de la sociĂ©tĂ© bourgeoise ⊠lâEtat peut et doit aller jusquâĂ la suppression de la religion ⊠mais uniquement comme il va jusquâĂ la suppression de la propriĂ©tĂ© privĂ©e, au maximum, Ă la confiscation, Ă lâimpĂŽt progressif, Ă la suppression de la vie, Ă la guillotine. ⊠La vie politique cherche Ă Ă©touffer ses conditions primordiales, la sociĂ©tĂ© bourgeoise et ses Ă©lĂ©ments pour sâĂ©riger en vie gĂ©nĂ©rique vĂ©ritable et absolue de lâhomme. Mais elle ne peut atteindre ce but quâen se mettant en contradiction violente avec ses propres conditions dâexistence, en dĂ©clarant la rĂ©volution Ă lâĂ©tat permanent ; aussi le drame politique se termine-t-il nĂ©cessairement par la restauration de tous les Ă©lĂ©ments de la sociĂ©tĂ© bourgeoise ».[13] Le jacobinisme apparaĂźt sous cet Ă©clairage comme une tentative vaine et nĂ©cessairement avortĂ©e dâaffronter la sociĂ©tĂ© bourgeoise Ă partir de lâEtat de façon strictement politique. b Les hommes de la Terreur â Robespierre, Saint-Just et leur parti »â ont Ă©tĂ© victimes dâune illusion ils ont confondu lâantique rĂ©publique romaine avec lâEtat reprĂ©sentatif moderne. Pris dans une contradiction insoluble, ils ont voulu sacrifier la sociĂ©tĂ© bourgeoise Ă un mode antique de vie politique ». Cette idĂ©e, dĂ©veloppĂ©e dans La Sainte Famille, implique comme lâhypothĂšse antĂ©rieure, une pĂ©riode historique dâexaspĂ©ration et dâautonomisation du politique. Elle aboutit Ă la conclusion, quelque peu surprenante, que NapolĂ©on est lâhĂ©ritier du jacobinisme il a reprĂ©sentĂ© la derniĂšre bataille du terrorisme rĂ©volutionnaire contre la sociĂ©tĂ© bourgeoise, proclamĂ©e elle aussi par la rĂ©volution, et contre sa politique ». Il est vrai quâil nâavait rien dâun terroriste exaltĂ© » ; nĂ©anmoins, il considĂ©rait encore lâEtat comme une fin en soi, et la vie civile uniquement comme son trĂ©sorier et comme son subalterne, qui devait renoncer Ă toute volontĂ© propre. Il accompli le terrorisme en remplaçant la rĂ©volution permanente par la guerre permanente ».[14] On retrouve cette thĂšse dans Le Dix-Huit Brumaire 1852, mais cette fois Marx insiste sur la ruse de la raison qui fait des Jacobins et de Bonaparte les accoucheurs de cette mĂȘme sociĂ©tĂ© bourgeoise quâils mĂ©prisaient Camille Desmoulin, Danton, Robespierre, Saint-Just, NapolĂ©on, les hĂ©ros, de mĂȘme que les partis et la masse lors de lâancienne RĂ©volution française accomplirent dans le costume romain, et avec la phrasĂ©ologie romaine, la tĂąche de leur Ă©poque, Ă savoir la libĂ©ration et lâinstauration de la sociĂ©tĂ© bourgeoise moderne. ⊠La nouvelle forme de sociĂ©tĂ© une fois Ă©tablie, disparurent les colosses antĂ©diluviens et, avec eux, la Rome ressuscitĂ©e les Brutus, les Gracchus, les Publicola, les Tribuns, les SĂ©nateurs, et CĂ©sar lui-mĂȘme. La sociĂ©tĂ© bourgeoise, dans sa sobre rĂ©alitĂ©, sâĂ©tait créée ses vĂ©ritables interprĂštes et porte-parole dans la personne des Say, des Cousin, des Royer-Collard, des Benjamin Constant et des Guizot. »[15] Robespierre et NapolĂ©on, mĂȘme combat ? La formule est discutable. On la trouvait dĂ©jĂ sous la plume des libĂ©raux tels que Madame de StaĂ«l qui dĂ©crivait Bonaparte comme un Robespierre Ă cheval ». Chez Marx, en tout cas, elle montre le refus de toute filiation directe entre jacobinisme et socialisme. Cependant, on a lâimpression quâelle relĂšve moins dâune critique du jacobinisme comme chez Daniel GuĂ©rin un siĂšcle plus tard que dâune certaine idĂ©alisation » de lâhomme du Dix-Huit Brumaire, considĂ©rĂ© par Marx â en accord avec une tradition de la gauche rhĂ©nane par exemple Heine â comme le continuateur de la RĂ©volution française. c La Terreur a Ă©tĂ© une mĂ©thode plĂ©bĂ©ienne dâen finir de façon radicale avec les vestiges fĂ©odaux et dans ce sens elle a Ă©tĂ© fonctionnelle pour lâavĂšnement de la sociĂ©tĂ© bourgeoise. Cette hypothĂšse est suggĂ©rĂ©e dans plusieurs Ă©crits, notamment lâarticle sur La bourgeoisie et la contre-rĂ©volution »de 1848. Analysant le comportement des couches populaires urbaines le prolĂ©tariat et les autres catĂ©gories sociales nâappartenant pas Ă la bourgeoisie », Marx affirme MĂȘme lĂ oĂč elles sâopposaient Ă la bourgeoisie, comme par exemple de 1793 Ă 1794 en France, elle ne luttaient que pour faire triompher les intĂ©rĂȘts de la bourgeoisie, quand bien mĂȘme ce nâĂ©tait pas Ă sa maniĂšre. Toute la Terreur en France ne fut rien dâautre quâune mĂ©thode plĂ©bĂ©ienne dâen finir avec les ennemis de la bourgeoisie, lâabsolutisme, le fĂ©odalisme et lâesprit petit-bourgeois ».[16] Lâavantage Ă©vident de cette analyse Ă©tait dâintĂ©grer les Ă©vĂ©nements de 1793-1794 dans la logique dâensemble de la RĂ©volution française â lâavĂšnement de la sociĂ©tĂ© bourgeoise. Utilisant la mĂ©thode dialectique, Marx montre que les aspects anti-bourgeois » de la Terreur nâont servi, en derniĂšre analyse, quâĂ mieux assurer le triomphe social et politique de la bourgeoisie. Le marxisme et le jacobinisme Les trois aspects mis en Ă©vidence par ces trois lignes dâinterprĂ©tation du jacobinisme â lâhypertrophie du politique en lutte contre la sociĂ©tĂ© bourgeoise, lâillusion de revenir Ă la RĂ©publique antique et le rĂŽle dâinstrument plĂ©bĂ©ien au service des intĂ©rĂȘts objectifs de la bourgeoisie â sont tout Ă fait compatibles et permettent de saisir diffĂ©rentes facettes de la rĂ©alitĂ© historique. On est cependant frappĂ©s par deux aspects dâune part, lâimportance quelque peu excessive que Marx attribue Ă lâillusion romaine comme clĂ© explicative du comportement des Jacobins. Dâautant plus quâune des exigences du matĂ©rialisme historique est dâexpliquer les idĂ©ologies et les illusions par la position et les intĂ©rĂȘts des classes sociales⊠Or, il nây a pas chez Marx ou Engels une tentative, mĂȘme approximative, de dĂ©finir la nature de classe du jacobinisme. Ce ne sont pas des analyses de classe qui manquent dans ses Ă©crits sur la RĂ©volution française le rĂŽle de lâaristocratie, du clergĂ©, de la bourgeoisie, des paysans, de la plĂšbe urbaine et mĂȘme du prolĂ©tariat » concept un peu anachronique dans la France du XVIIIe siĂšcle sont passĂ©s en revue. Mais le jacobinisme reste suspendu dans lâair, dans le ciel de la politique antique » â ou alors associĂ© de façon un peu rapide Ă lâensemble des couches plĂ©bĂ©iennes, non bourgeoises. Si dans les Ćuvres sur la rĂ©volution de 1848-1852 Marx nâhĂ©site pas Ă qualifier les hĂ©ritiers modernes de la Montagne comme dĂ©mocrates petits-bourgeois », il est trĂšs rare quâil Ă©tende cette dĂ©finition sociale aux Jacobins de 1793. Un des seuls passages oĂč cela est suggĂ©rĂ© se trouve dans la circulaire de mars 1850 Ă la Ligue des Communistes Tout comme lors de la premiĂšre RĂ©volution française, les petits-bourgeois donneront les terres fĂ©odales en tant que libre propriĂ©tĂ© aux paysans, câest Ă dire quâils voudront ⊠favoriser une classe paysanne petite-bourgeoise qui accomplisse le mĂȘme cycle de paupĂ©risation et dâendettement dans lequel le paysan français est actuellement renfermĂ© ».[17] Mais ils âagit Ă nouveau dâune remarque en passant », oĂč les Jacobins ne sont mĂȘme pas explicitement dĂ©signĂ©s. Câest un fait curieux, mais il y a trĂšs peu dâĂ©lĂ©ments chez Marx ou Engels pour une analyse de classe des contradictions du jacobinisme â comme par exemple celle de Daniel GuĂ©rin, selon lequel le parti jacobin Ă©tait Ă la fois petit-bourgeois Ă la tĂȘte et populaire Ă la base ».[18] En tous cas, une chose est claire 1793 nâĂ©tait pas du tout, Ă ses yeux, un paradigme pour la future rĂ©volution prolĂ©tarienne. Quelle que soit son admiration pour la grandeur historique et lâĂ©nergie rĂ©volutionnaire dâun Robespierre ou dâun Saint-Just, le jacobinisme est explicitement refusĂ© comme modĂšle ou source dâinspiration de la praxis rĂ©volutionnaire socialiste. Cela apparaĂźt dĂšs les premiers textes communistes de 1844, qui opposent lâĂ©mancipation sociale aux impasses et illusions du volontarisme politique des hommes de la Terreur. Mais câest au cours des annĂ©es 1848-1852, dans les Ă©crits sur la France, que Marx va dĂ©noncer, avec la plus grande insistance, la superstition traditionnelle en 1793 », les pĂ©dants de la vieille tradition de 1793 », les illusions des rĂ©publicains de la tradition de 1793 », et tous ceux qui se grisent de lâopium des sentiments et des formules patriotiques de 1793 ». Raisonnement qui le conduit Ă la cĂ©lĂšbre conclusion formulĂ©e dans Le Dix-Huit Brumaire La rĂ©volution sociale du XIXe siĂšcle ne peut pas tirer sa poĂ©sie du passĂ©, mais seulement de lâavenir. Elle ne peut pas commencer avec elle mĂȘme avant dâavoir liquidĂ© complĂštement toute superstition Ă lâĂ©gard du passĂ© ».[19] Câest une affirmation bien discutable â la Commune de 1793 a inspirĂ©e celle de 1871 et celle-ci, Ă son tour, a nourri Octobre 1917 -, mais elle tĂ©moigne de lâhostilitĂ© de Marx a toute rĂ©surgence du jacobinisme dans le mouvement prolĂ©tarien. Cela ne signifie nullement que Marx ne perçoit pas, au sein de la RĂ©volution française, des personnages, des groupes et des mouvements prĂ©curseurs du socialisme. Dans un passage trĂšs connu de La Sainte-Famille, il passe rapidement en revue les principaux reprĂ©sentants de cette tendance Le mouvement rĂ©volutionnaire qui commença en 1789 au cercle social, qui, au milieu de sa carriĂšre, eut pour reprĂ©sentants principaux Leclerc et Roux et finit par succomber provisoirement avec la conspiration de Babeuf, avait fait germer lâidĂ©e communiste que lâami de Babeuf, Buonarroti rĂ©introduisit en France aprĂšs la rĂ©volution de 1830. Cette idĂ©e, dĂ©veloppĂ©e avec consĂ©quence, câest lâidĂ©e du nouvel Ă©tat du monde ».[20] Curieusement, Marx ne semble sâintĂ©resser quâĂ lâidĂ©e communiste, et ne prĂȘte pas beaucoup dâattention au mouvement social, Ă la lutte des classes au sein du Tiers Etat. Par ailleurs, il ne sâoccupera plus, dans ses Ă©crits postĂ©rieurs, de ces germes communistes » de la RĂ©volution française Ă lâexception de Babeuf et nâessaiera jamais dâĂ©tudier les affrontements de classes entre bourgeois et bras-nus au cours de la RĂ©volution. Chez le vieux Engels en 1889, on trouve quelques rĂ©fĂ©rences rapides au conflit entre la Commune HĂ©bert, Chaumette et le ComitĂ© de Salut Public Robespierre, mais il nâest pas question du courant enragĂ© reprĂ©sentĂ© par Jacques Roux.[21] Parmi ces figures de prĂ©curseurs, Babeuf est donc le seul qui semble rĂ©ellement important aux yeux de Marx et dâEngels, qui sâen rĂ©fĂšrent Ă plusieurs reprises. Par exemple, dans lâarticle contre Heinzen 1847, Marx observe La premiĂšre apparition dâun parti communiste rĂ©ellement agissant se trouve dans le cadre de la rĂ©volution bourgeoise, au moment oĂč la monarchie constitutionnelle est supprimĂ©e. Les rĂ©publicains les plus consĂ©quents, en Angleterre les Niveleurs, en France Babeuf, Buonarroti, sont les premiers Ă avoir proclamĂ© ces questions sociales. La conspiration de Babeuf, dĂ©crite par son ami et compagnon Buonarroti, montre comment ces rĂ©publicains ont puisĂ© dans le mouvement de lâhistoire lâidĂ©e quâen Ă©liminant la question sociale de la monarchie ou de la rĂ©publique, on nâavait pas encore rĂ©solu la moindre question sociale dans le sens du prolĂ©tariat ». Dâautre part, la phrase, dans le Manifeste Communiste », qui dĂ©crit les premiĂšres tentatives du prolĂ©tariat pour imposer directement son propre intĂ©rĂȘt de classe » â tentatives qui ont eu lieu dans la pĂ©riode du bouleversement de la sociĂ©tĂ© fĂ©odale -, se rĂ©fĂšre elle aussi Ă Babeuf[22] explicitement mentionnĂ© dans ce contexte. Cet intĂ©rĂȘt est comprĂ©hensible, dans la mesure oĂč plusieurs courants communistes dans la France dâavant 1848 Ă©taient plus ou moins directement inspirĂ©s par le babouvisme. Mais la question des mouvements populaires sans-culottes » anti-bourgeois â et plus avancĂ©s que les Jacobins â des annĂ©es 1793-1794 reste peu abordĂ©e par Marx ou Engels. Une rĂ©volution permanente ? Peut-on dire dans ces conditions que Marx a perçu, dans la RĂ©volution française, non seulement la rĂ©volution bourgeoise mais aussi une dynamique de rĂ©volution permanente, en embryon de rĂ©volution prolĂ©tarienne » dĂ©bordant du cadre strictement bourgeois ? Oui et non⊠Il est vrai, comme nous lâavons vu plus haut, que Marx utilise en 1843-1844 le terme rĂ©volution permanente » pour dĂ©signer la politique de la Terreur. Daniel GuĂ©rin interprĂšte cette formule comme allant dans le sens de sa propre interprĂ©tation de la RĂ©volution française Marx employa lâexpression de rĂ©volution permanente Ă propos de la RĂ©volution française. Il montra que le mouvement rĂ©volutionnaire de 1793 tenta un moment de dĂ©passer les limites de la rĂ©volution bourgeoise ».[23] Cependant, le sens de lâexpression chez Marx dans La Question Juive nâest pas du tout identique Ă celui que lui attribue GuĂ©rin la rĂ©volution permanente » ne dĂ©signe pas Ă ce moment un mouvement social, semi-prolĂ©tarien, qui essaie de dĂ©velopper la lutte de classes contre la bourgeoisie â en dĂ©bordant le pouvoir jacobin -, mais une vaine tentative de la vie politique » incarnĂ©e par les Jacobins pour sâĂ©manciper de la sociĂ©tĂ© civile/bourgeoise et supprimer celle-ci par la guillotine. La comparaison que Marx esquisse un an plus tard La Sainte-Famille entre Robespierre et NapolĂ©on, ce dernier Ă©tant censĂ© accomplir la Terreur en remplaçant la rĂ©volution permanente par la guerre permanente », illustre bien la distance entre cette formule et lâidĂ©e dâun germe de rĂ©volution prolĂ©tarienne. Lâautre exemple que donne GuĂ©rin dans le mĂȘme paragraphe est un article de janvier 1849 oĂč Engels indique la rĂ©volution permanente » comme un des traits caractĂ©ristiques de la glorieuse annĂ©e 1793 ». Or, dans cet article, Engels mentionne comme exemple contemporain de cette rĂ©volution permanente » le soulĂšvement national/populaire hongrois de 1848 dirigĂ© par Lajos Kossuth, qui Ă©tait pour sa nation Danton et Carnot en une seule personne ». Il est Ă©vident que pour Engels ce terme Ă©tait simplement synonyme de mobilisation rĂ©volutionnaire du peuple et nâavait pas du tout le sens dâune transcroissance socialiste de la rĂ©volution.[24] Ces remarques ne visent pas Ă critiquer Daniel GuĂ©rin mais au contraire Ă mettre en relief la profonde originalitĂ© de sa dĂ©marche il nâa pas simplement dĂ©veloppĂ© des indications dĂ©jĂ prĂ©sentes chez Marx et Engels, mais a formulĂ©, en utilisant la mĂ©thode marxiste, une interprĂ©tation nouvelle, qui met en Ă©vidence la dynamique permanentiste » du mouvement rĂ©volutionnaire des bras-nus en 1793-1794. Cela dit il nây a pas de doute que lâexpression rĂ©volution permanente » est Ă©troitement associĂ©e, chez Marx et Engels, aux souvenirs de la RĂ©volution française. Ce lien se situe Ă trois niveaux -Lâorigine immĂ©diate de la formule renvoie probablement au fait que les clubs rĂ©volutionnaires se dĂ©claraient souvent comme assemblĂ©s en permanence ». Cette expression apparaĂźt dâailleurs dans un des livres allemands sur la rĂ©volution que Marx avait lu en 1843-1844.[25] -Lâexpression implique aussi lâidĂ©e dâune avancĂ©e ininterrompue de la rĂ©volution, de la monarchie Ă la constitutionnelle, de la rĂ©publique girondine Ă la jacobine, etc. -Dans le contexte des articles de 1843-1844, elle suggĂšre une tendance de la rĂ©volution politique dans sa forme jacobine Ă devenir une fin en soi et Ă entrer en conflit avec la sociĂ©tĂ© civile/bourgeoise. En revanche, lâidĂ©e de rĂ©volution permanente au sens fort â celui du marxisme rĂ©volutionnaire du XXe siĂšcle â apparaĂźt chez Marx pour la premiĂšre fois en 1844, Ă propos de lâAllemagne. Dans lâarticle Contributions Ă la critique de la philosophie du droit de Hegel », il constate lâincapacitĂ© pour la bourgeoisie allemande de remplir son rĂŽle rĂ©volutionnaire au moment oĂč elle se met en lutte contre la royautĂ© et la noblesse, le prolĂ©taire est dĂ©jĂ engagĂ© dans le combat contre le bourgeois. A peine la classe moyenne ose-t-elle concevoir, de son point de vue, la pensĂ©e de son Ă©mancipation, que dĂ©jĂ lâĂ©volution des conditions sociales et le progrĂšs de la thĂ©orie politique dĂ©clare ce point de vue pĂ©rimĂ©, ou du moins problĂ©matique ». Il sâensuit quâen Allemagne, ce nâest pas la rĂ©volution radicale, lâĂ©mancipation universellement humaine qui est [âŠ] un rĂȘve utopique ; câest bien plutĂŽt la rĂ©volution partielle, la rĂ©volution purement politique, la rĂ©volution qui laisse subsister les piliers de la maison ». En dâautres termes En France, lâĂ©mancipation partielle est le fondement de lâĂ©mancipation universelle. En Allemagne, lâĂ©mancipation universelle est la condition sine qua non de toute Ă©mancipation partielle.[26] Câest donc en opposition au modĂšle purement politique », partiel » de la RĂ©volution française que sâesquisse, dans un langage encore philosophique lâidĂ©e que la rĂ©volution socialiste devra, dans certains pays, accomplir les tĂąches historiques de la rĂ©volution dĂ©mocratique-bourgeoise. Ce nâest quâen mars 1850, dans la circulaire Ă la Ligue des Communistes, que Marx et Engels vont fusionner lâexpression française avec lâidĂ©e allemande, la formule inspirĂ©e par la rĂ©volution de 1789-1794 avec la perspective dâune transcroissance prolĂ©tarienne de la rĂ©volution dĂ©mocratique allemande Tandis que les petits-bourgeois dĂ©mocratiques veulent terminer la rĂ©volution au plus vite ⊠il est de notre intĂ©rĂȘt et de notre devoir de rendre la rĂ©volution permanente, jusquâĂ ce que toute les classes plus ou moins possĂ©dantes aient Ă©tĂ© chassĂ©es du pouvoir, que le prolĂ©tariat ait conquis le pouvoir public » dans les principaux pays du monde, et concentrĂ© dans ses mains les forces productives dĂ©cisives ».[27] Câest dans ce document que lâexpression rĂ©volution permanente » gagne pour la premiĂšre le sens quâelle aura par la suite au cours du XXe siĂšcle notamment chez Trotsky. Dans sa nouvelle conception, la formule garde de son origine et du contexte historique de la RĂ©volution française surtout le deuxiĂšme aspect mentionnĂ© ci-dessus lâidĂ©e dâune progression, dâune radicalisation et dâun approfondissement ininterrompus de la rĂ©volution. On retrouve aussi lâaspect de la confrontation avec la sociĂ©tĂ© civile/bourgeoise mais contrairement au modĂšle jacobin de 1793, celle-ci nâest plus lâĆuvre terroriste nĂ©cessairement vouĂ©e Ă lâĂ©chec de la sphĂšre politique en tant que telle â qui essaie en vain de sâattaquer Ă la propriĂ©tĂ© privĂ©e par la guillotine â mais bien de lâintĂ©rieur de la sociĂ©tĂ© civile elle-mĂȘme, sous la forme de rĂ©volution sociale prolĂ©tarienne. Quel hĂ©ritage ? Quel est donc lâhĂ©ritage de la RĂ©volution française pour le marxisme du XXe siĂšcle ? Comme nous lâavons vu, Marx pensait que le prolĂ©tariat socialiste devait se dĂ©barrasser du passĂ© rĂ©volutionnaire du XVIIIe siĂšcle. La tradition rĂ©volutionnaire lui apparaĂźt comme un phĂ©nomĂšne essentiellement nĂ©gatif La tradition de toutes les gĂ©nĂ©rations mortes pĂšse comme un cauchemar sur le cerveau des vivants. Et mĂȘme quand ils semblent occupĂ©s Ă se transformer, eux et les choses, Ă crĂ©er quelque chose de tout Ă fait nouveau, câest prĂ©cisĂ©ment Ă ces Ă©poques de crises rĂ©volutionnaires quâils appellent craintivement les esprits du passĂ© Ă leur rescousse, quâils leurs empruntent leurs noms, leurs mot dâordres, leurs costumes. ⊠Les rĂ©volutions antĂ©rieures avaient besoin de rĂ©miniscences historiques pour se dissimuler Ă elles-mĂȘmes leur propre contenu. La rĂ©volution du XIXe siĂšcle doit laisser les morts enterrer leurs morts pour rĂ©aliser son propre objet. »[28] Bien entendu, cette remarque se situe dans un contexte prĂ©cis, celui dâune polĂ©mique de Marx contre la caricature de Montagne » des annĂ©es 1848-1852, mais elle prĂ©sente aussi une visĂ©e plus gĂ©nĂ©rale. Il me semble que Marx a Ă la fois raison et tort⊠Il a raison, dans la mesure oĂč les marxistes ont souvent voulu sâinspirer, au cours du XXe siĂšcle, du paradigme de la RĂ©volution française, avec des rĂ©sultats assez nĂ©gatifs. Câest le cas, tout dâabord, du marxisme russe, dans ses deux grandes branches PlĂ©khanov et les mencheviques â qui croyaient que la bourgeoisie dĂ©mocratique russe allait jouer dans la lutte contre le tsarisme le mĂȘme rĂŽle rĂ©volutionnaire que la bourgeoisie française a jouĂ© selon Marx dans la rĂ©volution de 1789. A partir de ce moment, le concept de bourgeoisie rĂ©volutionnaire »est entrĂ© dans le vocabulaire des marxistes et est devenu un Ă©lĂ©ment clĂ© dans lâĂ©laboration des stratĂ©gies politiques â en ignorant lâavertissement de Marx, Ă propos de lâAllemagne mais avec des indications plus gĂ©nĂ©rales les classes bourgeoises qui arrivent trop tard qui sont dĂ©jĂ menacĂ©es par le prolĂ©tariat ne pourront pas avoir une pratique rĂ©volutionnaire consĂ©quente. Bien entendu, grĂące au stalinisme, le dogme de la bourgeoisie dĂ©mocratique-rĂ©volutionnaire ou nationale et lâidĂ©e dâune rĂ©pĂ©tition â dans des nouvelles conditions â du paradigme de 1789 ont Ă©tĂ© une composante essentielle de lâidĂ©ologie du mouvement communiste dans les pays coloniaux, semi-coloniaux et dĂ©pendants, depuis 1926, avec des consĂ©quences nĂ©fastes pour les classes dominĂ©es. LĂ©nine et les bolcheviques qui nâavaient pas, eux, des illusions sur la bourgeoisie libĂ©rale russe, mais qui avaient pris surtout avant 1905, le jacobinisme comme modĂšle politique. Il en rĂ©sultait une conception souvent autoritaire du parti, de la rĂ©volution et du pouvoir rĂ©volutionnaire⊠Rosa Luxemburg et LĂ©on Trotsky vont critiquer â notamment au cours des annĂ©es 1903-1905 â ce paradigme jacobin, en insistant sur la diffĂ©rence essentielle entre lâesprit, les mĂ©thodes, les pratiques et les formes dâorganisation marxistes et celles de Robespierre et ses amis. On peut considĂ©rer LâEtat et la RĂ©volution, de LĂ©nine, comme un dĂ©passement de ce modĂšle jacobin. Traiter Staline et ses acolytes dâhĂ©ritiers du jacobinisme serait trop injuste envers les rĂ©volutionnaires de 1793, et comparer la Terreur du ComitĂ© de Salut Public avec celle du GPU des annĂ©es 1930 est une absurditĂ© historique Ă©vidente. En revanche, on peut repĂ©rer la prĂ©sence dâun Ă©lĂ©ment jacobin chez un marxiste aussi subtile et novateur quâAntonio Gramsci. Tandis que, dans ses articles de 1919 pour Ordine Nuovo, il proclamait que le parti prolĂ©tarien ne doit pas ĂȘtre un parti qui se sert de la masse pour tenter une imitation hĂ©roĂŻque des Jacobins français », dans ses Cahiers de Prison des annĂ©es 1930, on trouve une vision assez autoritaire du parti dâavant-garde prĂ©sentĂ©e explicitement comme lâhĂ©ritier lĂ©gitime de la tradition de Machiavel et des Jacobins.[29] A un autre niveau, il me semble toutefois que Marx avait tort de nier toute valeur pour le combat socialiste Ă la tradition rĂ©volutionnaire de 1789-1794. Sa propre pensĂ©e en est un excellent exemple lâidĂ©e mĂȘme de rĂ©volution dans ses Ă©crits et ceux dâEngels, comme mouvement insurrectionnel des classes dominĂ©es qui renverse un Etat oppresseur et un ordre social injuste, a Ă©tĂ© dans une trĂšs large mesure inspirĂ©e par cette tradition⊠Dâune façon plus gĂ©nĂ©rale, la grande RĂ©volution française fait partie de la mĂ©moire collective du peuple travailleur â en France, en Europe et dans le monde entier â et constitue une des sources vitales de la pensĂ©e socialiste, dans toutes ses variantes communisme et anarchisme y compris. Contrairement Ă ce quâavait Ă©crit Marx dans Le Dix-Huit Brumaire, sans poĂ©sie du passĂ© », il nây a pas de rĂȘve dâavenir⊠Dâune certaine maniĂšre, lâhĂ©ritage de la RĂ©volution française reste encore aujourdâhui, vivant, actuel, actif. Il garde quelque chose dâinachevé⊠Il contient une promesse non encore accomplie. Il est le commencement dâun processus qui nâest pas encore terminĂ©. La meilleure preuve en est les tentatives rĂ©pĂ©tĂ©es et insistantes de mettre fin, une bonne fois pour toutes, officiellement et dĂ©finitivement, Ă la RĂ©volution française. NapolĂ©on a Ă©tĂ© le premier Ă dĂ©crĂ©ter, le Dix-Huit Brumaire, que la rĂ©volution Ă©tait finie. Dâautres se sont livrĂ©s, au cours des siĂšcles, Ă ce type dâexercices, repris aujourdâhui avec un bel aplomb par François Furet. Or, qui aurait de nos jours lâidĂ©e saugrenue de dĂ©clarer terminĂ©e » la RĂ©volution anglaise de 1648 ? Ou la RĂ©volution amĂ©ricaine de 1778 ? Ou la RĂ©volution de 1830 ? Si lâon sâacharne tellement sur celle de 1789-1794, câest prĂ©cisĂ©ment parce quâelle est loin dâĂȘtre terminĂ©e â câest Ă dire parce quâelle continue Ă manifester ses effets dans le champ politique et dans la vie culturelle, dans lâimaginaire social et dans les luttes idĂ©ologiques en France et ailleurs. Quels sont les aspects de cet hĂ©ritage les plus dignes dâintĂ©rĂȘts ? Quelles sont les esprits du passĂ© Marx qui mĂ©ritent dâĂȘtre Ă©voquĂ©s deux cent ans aprĂšs ? Quels sont les Ă©lĂ©ments de la tradition rĂ©volutionnaire de 1789-1794 qui tĂ©moignent le plus profondĂ©ment de cet inachĂšvement ? On pourrait en mentionner au moins quatre, parmi les plus importants 1. La RĂ©volution française a Ă©tĂ© un moment privilĂ©giĂ© dans la constitution du peuple opprimĂ© â la masse innombrable Marx des exploitĂ©s â comme sujet historique, comme acteur de sa propre libĂ©ration. Dans ce sens, elle a Ă©tĂ© un pas gigantesque dans ce que Ernst Bloch appelle la marche debout de lâHumanitĂ© » â un processus historique qui est encore loin dâĂȘtre achevé⊠Bien sĂ»r, on en trouve des prĂ©cĂ©dents dans les mouvements antĂ©rieurs la Guerre des Paysans du XVIe siĂšcle, la RĂ©volution anglaise du XVIIe siĂšcle, mais aucun nâatteint la clartĂ©, la force politique et morale, la vocation universelle et hardiesse spirituelle de la rĂ©volution de 1789-1974 â jusquâĂ cette Ă©poque, la plus colossale Marx de toutes. 2. Au cours de la RĂ©volution française sont apparus des mouvements sociaux dont les aspirations dĂ©passaient les limites bourgeoises du processus initiĂ© en 1789. Les principales forces de ce mouvement â les bras-nus, les femmes rĂ©publicaines, les EnragĂ©s, les Egaux et leurs porte-paroles Jacques Roux, Leclerc, etc. â ont Ă©tĂ© vaincues, Ă©crasĂ©es, guillotinĂ©es. Leur mĂ©moire â systĂ©matiquement refoulĂ©e de lâhistoire officielle â fait partie de la tradition des opprimĂ©s dont parlait Walter Benjamin, la tradition des ancĂȘtres martyrisĂ©s dont se nourrit le combat dâaujourdâhui. Les travaux de Daniel GuĂ©rin et Maurice Dommanget â deux marginaux extĂ©rieurs Ă lâhistoriographie universitaire â ont sauvĂ© de lâoubli les bras-nus et les EnragĂ©s, tandis que des recherches plus rĂ©centes dĂ©couvrent peu Ă peu toute la richesse de la moitiĂ© cachĂ©e » du peuple rĂ©volutionnaire les femmes. 3. La RĂ©volution française a fait germer les idĂ©es dâun nouvel Ă©tat du monde », les idĂ©es communistes le cercle social », Babeuf, Sylvain MarĂ©chal, François Bossel, etc. et fĂ©ministes Olympe de Gouges, ThĂ©roigne de MĂ©ricourt. Lâexplosion rĂ©volutionnaire a libĂ©rĂ© des rĂȘves, des images de dĂ©sir et des exigences sociales radicales. Dans ce sens aussi elle est porteuse dâun avenir qui reste ouvert et inachevĂ©. 4. Les idĂ©aux de la RĂ©volution française â LibertĂ©, EgalitĂ©, FraternitĂ©, les Droits de lâHomme notamment dans leur version de 1793, la souverainetĂ© du Peuple â contiennent un surplus utopique »Ernest Bloch qui dĂ©borde lâusage quâen a fait la bourgeoisie. Leur rĂ©alisation effective exige lâabolition de lâordre bourgeois. Comme le souligne avec une force visionnaire Ernest Bloch, libertĂ©, Ă©galitĂ©, fraternitĂ© font aussi partie des engagements qui ne furent pas honorĂ©s, ils ne sont donc pas encore rĂ©glĂ©s, Ă©teints ». Ils possĂšdent en eux cette promesse, et cette teneur utopique concrĂšte dâune promesse » qui ne sera rĂ©alisĂ©e que par la rĂ©volution socialiste et par la sociĂ©tĂ© sans classe. En un mot libertĂ©, Ă©galitĂ©, fraternitĂ© â lâorthopĂ©die telle quâon lâa tentĂ©e, de la marche debout, de la fiertĂ© humaine â renvoie bien au-delĂ de lâhorizon bourgeois ».[30] Conclusion et morale de lâHistoire avec un H » majuscule la RĂ©volution française de 1789-1794 nâa Ă©tĂ© quâun dĂ©but. Le combat continue⊠Ce texte a Ă©tĂ© publiĂ© dans lâouvrage collectif Permanences de la RĂ©volution, Paris, Ăditions la BrĂšche, 1989. La retranscription et les intertitres ont Ă©tĂ© Ă©tablis par le site Notes [1] K. Marx, Die Deutsche Ideologie », 1846, Berlin, Dietz Verlag, 1960, p. 92. [2] K. Marx, Die Heilige Familie », 1845, Berlin, Dietz Verlag, 1953, p. 196. [3] K. Marx, La bourgeoisie et la contre-rĂ©volution », 1848, dans Marx et Engels, Sur la RĂ©volution française » SRF, Messidor, 1985, p. 121. Outre ce recueil prĂ©parĂ© pour les Editions Sociales par Claude Mainfroy, il en existe un autre, contenant uniquement les Ă©crits de Marx avec une longue introduction de F. Furet rassemblĂ©s par Lucien Calviez Marx et la RĂ©volution française » MRF, Flammarion, 1986. Les deux recueils sont incomplets. Jâutilise tantĂŽt lâun, tantĂŽt lâautre, et parfois lâoriginal allemand notamment pour les textes qui ne figurent dans aucun des recueils. [4] K. Marx, Le Dix-Huit Brumaire », citĂ© dans SRF, p. 148 ; â Id., La Guerre Civile en France » premier et second essai de rĂ©daction, citĂ© dans SRF, p. 187-192. [5] F. Furet, Marx et la RĂ©volution française », Flammarion, 1986, p. 81-84. Cf. p. 83 Mais pour affirmer lâuniversalitĂ© abstraite de la libertĂ©, la RĂ©volution a dĂ» procĂ©der par une scission entre sociĂ©tĂ© civile et Etat, en dĂ©duire, pour ainsi dire, le politique du social. Câest son erreur, câest son Ă©chec, en mĂȘme temps que celui des thĂ©ories du contrat, et notamment de Rousseau. » [6] K. Marx, Introduction Ă la Contribution Ă la Critique de la Philosophie du Droit de Hegel », 1944, NRF, p. 152. [7] K. Marx, La bourgeoisie et la contre-rĂ©volution », 1848, dans Marx et Engels, Sur la RĂ©volution française » SRF, Messidor, 1985, p. 123. [8] K. Marx, Projet de Loi sur lâabrogation des charges fĂ©odales », 1848, SRF, p. 107. [9] K. Marx, LâIdĂ©ologie allemande », citĂ© dans NRF p. 187. [10] K. Marx, La critique moralisante et la morale critique contre Karl Heinzen », NRF p. 207. [11] K. Marx, LâIdĂ©ologie allemande », citĂ© dans NRF p. 184 et 181. [12] K. Marx, La critique moralisante et la morale critique contre Karl Heinzen », SRF p. 90. [13] K. Marx, La Question Juive », 1844, Oeuvres Philosophiques, Costes, 1934, p. 180-181. Je reviendrai plus bas sur le sens quâil faudrait attribuer Ă lâexpression rĂ©volution Ă lâĂ©tat permanent » dans ce contexte. [14] K. Marx, La Sainte-Famille », 1845, citĂ© dans NRF p. 170-171. [15] K. Marx, Le Dix-Huit Brumaire de Louis Bonaparte », 1852, citĂ© dans SRF p. 145-146. [16] K. Marx, La bourgeoisie et la contre-rĂ©volution », 1848, dans Marx et Engels, Sur la RĂ©volution française » SRF, Messidor, 1985, p. 121. Cf. aussi lâarticle contre Karl Heinzen de 1847 En assĂ©nant ces violents coups de masse, la Terreur ne devait donc servir en France quâĂ faire disparaĂźtre du territoire français, comme par enchantement, les ruines fĂ©odales. La bourgeoisie timorĂ©e et conciliante nâeĂ»t pas eu assez de plusieurs dĂ©cennies pour accomplir cette besogne. » SRF, p. 90. [17] K. Marx et F. Engels, Adresse de lâautoritĂ© centrale Ă la Ligue des Communistes », mars 1850, citĂ© dans SRF, p. 137 et 138. [18] Daniel GuĂ©rin, La lutte de classes sous la PremiĂšre RĂ©publique », Gallimard, 1946, p. 12. [19] Cf. SRF p. 103, 115, 118 ; â NRF, p. 238, 247. [20] CitĂ© dans SRF p. 62. [21] Lettre dâEngels Ă Karl Kautsky, 20 fĂ©vrier 1889, citĂ© dans SRF p. 245-246. [22] K. Marx, La critique moralisante et la morale critique contre Karl Heinzen », est citĂ© dans SRF p. 91 et le passage du Manifeste » se trouve dans NRF p. 215. [23] Daniel GuĂ©rin, La lutte de classes sous la PremiĂšre RĂ©publique », Gallimard, 1946, p. 7. [24] Ibid. Cf. Engels Der Magyarische Kampf », Marx-Engels Werke, Dietz Verlag, Berlin 1961, Tome 6, p. 166. [25] Cf. W. Wachsmuth, Geschichte Frankreichs im Revolutionalter », Hambourg, 1842, Vol. 2, p. 341 Von den Jakobineren ging die nachricht ein, dass sie in Permanenz erklĂ€rt hatten. ». [26] K. Marx, Contribution Ă la Critique de la Philosophie du Droit de Hegel », 1944, citĂ© dans NRF, p. 151-153. [27] K. Marx et F. Engels, Adresse de lâautoritĂ© centrale Ă la Ligue des Communistes », mars 1850, Karl Marx devant les jurĂ©s de Cologne », Costes 1939, p. 238. [28] K. Marx, Le Dix-Huit Brumaire de Louis Bonaparte », 1852, citĂ© dans SRF p. 245-247. [29] A. Gramsci, Ordine Nuovo », Einaudi, Turin, 1954, p. 139-140 ; â Note sul Machiaveli, sul la politica e sul lo stato moderno », Einaudi, Turin, 1955, p. 6 Ă 8, 18, 26. [30] Ernst Bloch, Droit naturel et dignitĂ© humaine », Payot, 1976, p. 178-179.
Considérationssur les principaux événements de la Révolution Française: ouvrage posthume, Volume 2 - Ebook written by Madame de Staël. Read this book using Google Play Books app on your PC, android, iOS devices. Download for offline reading, highlight, bookmark or take notes while you read Considérations sur les principaux événements de la Révolution Française:
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